Lucie

2023-01-10

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Questionner le rôle du manager pour en redéfinir les missions, lui redonner du sens et le rendre plus attractif. Manager n'est pas être un super héros, c'est essentiellement faire et donner confiance. 

« Je voulais te dire, pendant ma présentation, j’ai senti un flottement dans la salle. Un peu pris de panique, je me suis tourné vers toi, en espérant que tu me sauves. Et là, tu m’as regardé avec beaucoup de tranquillité, tu m’as fait un signe de tête et j’ai compris que tu me disais vas-y, lance-toi, ils vont t’écouter. Et puis je me suis lancé et ils m’ont écouté. Alors, je voulais te remercier parce que si tu étais intervenue à ma place, cela aurait été moins bénéfique pour moi. »

Ce feedback est l’un des plus marquants de ma vie de manager. Il est sans prétention, il ne fait pas de moi un leader charismatique et visionnaire capable de révolutionner son marché toutes les 72h en galvanisant les foules. Pourtant, avec ce feedback, je suis parvenue à me dire que, même si la route était encore longue bien sûr, j’étais sans doute sur la bonne voie pour devenir le manager que je voulais être : celui qui donne confiance en soi parce qu’il a confiance en l’autre.

Bien sûr, si j’ai réagi ainsi, c’est parce que je connaissais les capacités de celui que je mentorais. Et pour cause, cela faisait des mois que nous travaillions ensemble. De nombreuses occasions de partage d’expériences et de transmission de savoir avaient ponctué notre collaboration. Je le savais tout à fait capable de reprendre le fil de sa présentation et se prouver ainsi ce que je savais déjà de lui, bien qu’il semblât en douter lui-même, un court instant au moins.

Manager : se mettre au service de

Manager une femme ou un homme, c’est avant tout, de mon point de vue, créer les conditions de son succès ; accompagner l’autre vers sa réussite individuelle, qui contribuera à la réussite collective. Evidemment, je n’ai rien inventé et le courant du servant leadership aura très bien documenté cette conviction en l’enrichissant largement par ailleurs, et ce, bien avant moi. En effet, c’est Robert Greenleaf, dirigeant du groupe américain AT&T qui, dès les années 70, ouvrit la voie à de nombreuses recherches en management avec ce concept. Le servant leader se place donc au service de ses équipes, qu’il ou elle considère comme la priorité. Bob Liden, considéré comme un expert de ce courant, identifie des caractéristiques clefs des servant leaders, que je vous livre ici :

- L’empathie envers les membres de leurs équipes, y compris concernant des problématiques personnelles, considérant les individus dans leur entièreté et non seulement comme des ressources

- Un mode de fonctionnement basé sur la délégation permettant à chacun d’exercer entièrement ses responsabilités et contribuer ainsi pleinement à l’action collective

- Une attention particulière accordée au développement des individus avec lesquels il travaille, sans que cela ne le fasse se sentir en danger

- Une aptitude certaine à conceptualiser les problèmes et les solutions fondée sur sa fine compréhension de l’organisation et de ses enjeux

- Une conscience éthique reconnue lui conférant une capacité avérée à prendre des décisions moralement acceptables, de manière honnête et transparente

- Une vision très globale et inclusive intégrant notamment une saine préoccupation pour l’impact de l’entreprise sur son écosystème et sa communauté

Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, deux réactions me viennent spontanément à l’esprit à la lecture de cette liste : 1- tout ceci est très ambitieux et 2- tout ceci est pétri de bonnes intentions, mais pour quels résultats tangibles ? Après tout, même si nous y passons une bonne proportion de notre temps de vie, la plupart des entreprises n’en restent pas moins, à ce jour, des organismes lucratifs, même si certaines s’efforcent de développer des actions philanthropes.

Concernant le premier point, oui, cette cible est ambitieuse, et en même temps, elle a le mérite de poser un cap inspirant et un défi souhaitable. Par-dessus tout, elle en vaut la peine. Pourquoi ? On en vient au point 2. Des études ont cherché à démontrer si nous pouvions établir un lien entre ce mode de management et la performance d’une équipe. Suspens…

Lorsque le manager déploie un leadership au service de ses équipes, on constate plus de créativité et une meilleure aptitude à résoudre les difficultés. Une recherche[1] montrera d’ailleurs que le servant leadership se traduit, sur le terrain, par une performance supérieure, y compris en termes de bénéfices et de croissance des bénéfices. Comment est-ce possible me direz-vous ? L’équation est assez simple, les collaborateurs étant plus épanouis, leur performance est accrue et les résultats meilleurs.

Penser et pratiquer autrement le management

Mais alors si tout ceci est aussi idyllique, où se situe le problème ? Pourquoi le servant leadership n’est-il pas plus répandu ? Un début de réponse réside dans le fait que le servant leadership devrait être bien plus reconnu et valorisé si nous voulons qu’il s’ancre de manière plus robuste dans nos organisations. Comment faire ? Comme dans la quasi-totalité des situations où il s’agit de transformer des comportements, il faut s’attaquer aux croyances sous-jacentes qui amènent à ces manières de faire. En l’espèce, quelles sont-elles ? Tout simplement notre rapport au pouvoir, nos représentations du succès et enfin nos egos…

Finalement, ce que cela interroge c’est aussi et peut-être même surtout l’idée que nous nous faisons du rôle de manager. Cette remise en cause pourrait être d’autant plus salutaire que cette mission ne semble plus faire tant rêver les salariés aujourd’hui, en particulier les plus jeunes d’entre eux[2]. Evidemment, si être manager n’est vu que comme la seule voie possible pour évoluer au sein de l’entreprise, se résumant à une charge administrative supplémentaire et de nouvelles responsabilités contraignantes, cette évolution statutaire perd de son sens et de son intérêt. Questionner les missions du manager bénéficierait en premier lieu aux individus, les managers et futurs managers eux-mêmes, mais pas seulement. En effet, les organisations toutes entières gagneraient à imaginer de nouvelles manières de travailler, décider et se développer ensemble pour être plus agiles et plus attractives.

[1]  « Servant leadership influencing store-level profit: The mediating effect of employee flourishing », de Vincent Giolito, Robert Liden, Dirk van Dierendonck et Gordon Cheung, Journal of Business Ethics, 2020.

[2] https://start.lesechos.fr/apprendre/gagner-leadership/pourquoi-le-job-de-manager-ne-fait-plus-rever-les-jeunes-1175981

Cet article a été initialement publié sur le Journal du net

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